Feryort prenait, pour la troisième fois de la matinée, son tour de garde. Son métier l'ennuyait. Il s’était engagé pour l’action mais à part frapper sur les paysans qui tentaient de voler les cuisines du château, il ne faisait rien. Sa démarche nonchalante contrastait avec son énergie habituelle, mais ce métier l’avait épuisé. Il avait espéré devenir un nouveau Orhik le Sanglant, mais prendre des tours de garde ne le mènerait à rien.

Il respectait ce roi tyrannique, d’un point de vue militaire bien sûr ; ce qu’il faisait subir au peuple le répugnait, tout comme ce qu'il faisait tous les jours. Les paysans avaient appris à respecter les gardes. Sa démarche assurée, ses cheveux noirs et ses yeux gris inspiraient du respect, mais aussi de la peur dans le cœur des habitants de Fort le fleuve. Il était de forte carrure, comme tous les soldats, mais il était rapide, ce qui était assez rare. Il avait déjà participé au tournoi, et avait gagné quelques manches avant de s’incliner devant les grands champions. D’un côté, il était encore jeune et tenait à la vie, mais intérieurement, il regrettait d’avoir abandonné en cours de route. On l’avait quand même appelé à une promotion, et de soldat, il était passé commandant, mais seulement de quelques hommes, une dizaine.

Ses hommes le respectaient et s’inclinaient devant sa force. Bien que quelques uns aient déjà tué, Feryort, lui, ne l’avait encore jamais fait. Il n’en avait pas senti le besoin. Il s’entendait bien avec eux, et pour ce qu’il en savait, ils partageait son opinion au sujet du roi. Par ailleurs ils étaient prêts à le suivre n’importe où.

Feryort n’était pas bien riche, il logeait dans la caserne et ses possessions étaient limitées à son stock de « bonnes armes », ses vêtements et armures de garde ainsi que son costume de parade. C’était un bon soldat, il se battait bien à l’épée mais il préférait et excellait au tir à l’arc tandis que la plupart de ses hommes préféraient l’arbalète.

Son tempérament, bien connu des autres, était d’une nature sympathique, presque joviale bien qu'être soldat l’avait un peu grisé, et les horreurs qu’il avait vues l’avaient renfermé. Il continua son tour de garde et soudain, il vit un homme essayant d’escalader la petite bute précédant le pont levis du palais royal. En bon soldat, il sortit son arc mais l’homme ne l’avait pas vu. Il le menaça, allant jusqu'à le héler, l’arc toujours porté sur lui. L’homme se tourna vers lui et Feryort lui ordonna de partir... Certains gardes auraient déjà tiré à ce moment là, mais l’homme arriva à sa hauteur, ne tenant aucun compte de ses ordres, continuant à avançer vers lui sans rien dire. Le comportement de l’homme le perturbait ; d'ordinaire, lorsqu’il pointait son arc, les gens fuyaient en le suppliant. Mais cet homme là, non. Sans prévenir, il sortit un bâton pointu, une arme… Feryort tira. Le trait mortel partit et se ficha en pleine gorge. L’homme s’effondra, son pic s’échappant de ses mains, roulant au bas de la bute. Feryort rangea son arc et sortit son épée, pour vérifier qu’il était bien mort, même si cela était inutile.
Sa première victime... Et il ne ressentit rien de particulier.... Ils en fit d’autres dans les jours et les mois qui suivirent.